«Une personne avec une croyance a autant de force que 100.000 personnes qui n'ont que des intérêts» John Stuart Mill

Péchés capitaux à la «banque de Dieu»


Au cœur des plus gros scandales de la banque du Vatican, l’archevêque Paul Marcinkus a évité les procès grâce à son immunité. Il est décédé en 2006 aux Etats-Unis. Keystone



Depuis sa fondation en 1942, l’Institut pour les œuvres de religion (IOR) a été la source de nombreux scandales financiers, chiffrés en milliards. Le pape François veut remettre de l’ordre, au profit des pauvres.

«Saint Pierre n’avait pas de compte en banque!» Proche des pauvres, le pape François n’a pas manqué de souligner, dès le début de son pontificat, son aversion pour l’argent, cet «excrément du diable», comme il l’a qualifié, empruntant l’expression à l’ancien président de la Commission européenne Romano Prodi. Pas étonnant, dès lors, que le Saint-Père ait décidé de remettre de l’ordre dans la gestion des affaires financières du Vatican et de régler en particulier l’épineux problème de l’Institut pour les œuvres de religion (IOR). Il faut dire que la «banque de Dieu» s’est distinguée par toute une série de scandales ces dernières décennies, ternissant considérablement l’image de l’Eglise de Rome.

La fondation de l’IOR, appelé couramment «banque du Vatican», remonte à la Seconde Guerre mondiale. L’institut bancaire, situé dans une tour médiévale au pied du palais apostolique, a été créé le 27juin 1942 par le pape Pie XII et le gestionnaire de fortune Bernardino Nogara. Ce dernier avait été engagé par le Saint-Siège après les Accords du Latran de 1929 pour gérer la «donation» accordée au Vatican par le dirigeant fasciste Benito Mussolini en contrepartie de la perte des Etats pontificaux en 1870.

Le ver est dans la pomme

Jusqu’au début du conflit mondial, l’habile financier Nogara réussit à faire fructifier cette indemnité, gagnant plusieurs centaines de millions de dollars en investissant dans de nombreux secteurs, y compris l’armement.A ce patrimoine, qui renfloue joliment les caisses vides du petit Etat, viennent s’ajouter les millions du «denier de saint Pierre» (taxe sur les diocèses), mais aussi de l’argent confié par «certains hommes d’affaires italiens désireux de transférer des fonds en Suisse ou ailleurs pour échapper aux contrôles du gouvernement», raconte le spécialiste Paul Williams dans «Les dossiers noirs du Vatican»1. De l’or spolié par les nazis finit aussi dans les coffres du Saint-Siège.

Pour gérer pareil afflux, le pape PieXII a besoin d’un organisme financier adéquat. Ce sera l’IOR, qui va officiellement permettre d’assurer l’administration des capitaux destinés aux œuvres religieuses ou de charité. Mais aussi de «fournir des services spéciaux à des amis de confiance, moyennant rétribution et au prix fort». Le ver est dans la pomme…

Un «requin» au Vatican

La même année 1942, en Sicile, un certain Michele Sindona, qui a étudié le droit fiscal, fait de la contrebande de nourriture volée dans les bases américaines, avec la protection du mafioso Vito Genovese, alias Don Vitone. Talentueux, ambitieux, corruptible à souhait, il se retrouve bientôt à Milan à la tête d’un cabinet d’expert-conseil en affaires et fait la connaissance de plusieurs «monsignore» de la Curie romaine ainsi que de l’évêque Giovanni Batista Montini, le futur pape Paul VI.

Lorsque Cosa Nostra développe son trafic international de drogue, en 1957, le «jeune requin» – comme le surnomme Don Vitone – devient le banquier de la mafia, achetant des banques dans plusieurs pays, dont la Suisse, et créant des sociétés-écrans pour blanchir les narcodollars et échapper au fisc. Le «groupe» Sindona comprendra jusqu’à six banques, 500 sociétés et une chaîne hôtelière. Membre de la très secrète loge maçonnique Propaganda Due (P2), dont le Grand Maître est le «marionnettiste» Licio Gelli, le banquier véreux y rencontre en 1969 un ecclésiastique américain, Paul Marcinkus, qui officie comme conseiller et garde du corps de Paul VI, et qui sauvera même le pape d’une tentative d’assassinat aux Philippines.

Le «gorille» Marcinkus

Etonnamment, ce sont ces deux personnages que le pape choisit pour gérer la banque vaticane, dès 1969, lorsque le Gouvernement italien décrète la suppression de l’exonération fiscale pour le Saint-Siège. Le «requin» Sindona devient conseiller financier du Vatican et le «gorille» Marcinkus président de l’IOR. L’équivalent de plus de 1,4milliard de francs de taxes sont en jeu. Pour y échapper, tous les moyens sont bons. «C’est le début de la fin!», commente le journaliste d’investigation Gianluigi Nuzzi, dans «Vatican SA»2.

«Le financier sicilien utilise les sociétés financières détenues par le Vatican ainsi que les comptes du Saint-Siège auprès de la Banque privée italienne pour transférer l’argent de la mafia. Il a un art consommé de la simulation», explique le journaliste italien. Le tandem s’allie à un troisième larron, le banquier milanais Roberto Calvi, directeur de la Banco Ambrosiano.

Mais comme un château de cartes, leur obscur montage financier est condamné à s’écrouler. Après le premier choc pétrolier, c’est le crash pour Sindona, qui doit s’exiler. Il sera condamné à la prison à vie pour avoir fomenté l’assassinat de son liquidateur, l’avocat Giorgio Ambrosoli. Incarcéré dans la prison de haute sécurité de Voghera en 2006, il promettra des révélations explosives… mais mourra après avoir bu un café au cyanure.

Pape empoisonné?

Si le Vatican perd, selon les sources, 50 à 250millions de dollars dans l’affaire Sindona, l’archevêque Marcinkus n’est pas vraiment inquiété. A la mort de Paul VI, il est en revanche menacé par une enquête de fond sur la banque du Vatican que veut mener le nouveau pape, Jean-Paul Ier. Mais le Saint-Père meurt après 33 jours de pontificat. Les tenants de la théorie du complot soutiendront qu’il a été empoisonné…

Son successeur Jean-Paul II confirme Mgr Marcinkus dans son rôle de financier. Mais l’étau se resserre lorsque les magistrats italiens, qui enquêtent sur la nébuleuse Sindona, découvrent la liste des affiliés à la loge P2. Le banquier Roberto Calvi en fait partie. En 1982, sa Banco Ambrosiano, dont l’IOR est l’actionnaire majoritaire, fait faillite. Elle laisse une ardoise de 1,4milliard de dollars. Calvi prend la fuite. On le retrouvera pendu sous un pont de Londres. Le scandale est immense. Il coûtera au Vatican 242 millions de dollars de «contribution volontaire» et ouvrira la voie à l’opération «Mains propres» dans les années 1990.

Fausses donations

Mgr Marcinkus doit finalement se retirer mais, jouissant d’une immunité, évite un procès. Son bras droit Donato De Bonis va alors prendre la relève au titre de prélat de l’IOR, et poursuivre les petites affaires. Il met sur pied un système de comptes codés renvoyant vers des fondations fantômes. «Il existait une banque à l’intérieur de la banque du Vatican», précise le vaticaniste Nicolas Diat3.

En 1992, le nouveau secrétaire d’Etat, le cardinal Angelo Sodano, décide de mettre un terme à ces pratiques opaques. Le prélat De Bonis est écarté. Une enquête interne permet de comprendre qu’une large part des commissions occultes qui transitaient par l’IOR étaient versées aux partis politiques.

Mais les vieilles pratiques ont la vie dure. Dès son élection, BenoîtXVI doit à nouveau réclamer la transparence. En 2010, il met en place l’Autorité d’information financière pour contrôler l’institut. A sa suite, le pape François ne désarme pas. Il poursuit opiniâtrement la réforme de l’IOR, d’autant qu’un nouveau cas de blanchiment par fausses donations a été dénoncé en juin dernier avec l’affaire Scarano. Objectif annoncé: que les activités de l’institut financier soient enfin en harmonie avec «une Eglise pauvre pour les pauvres.» I

1 Paul Williams, «Les dossiers noirs du Vatican – L’argent, le crime et la mafia dans l’Eglise catholique», Editions H&O, 2010.

2 Gianluigi Nuzzi, «Vatican SA – Les archives secrètes du Vatican», Ed. Hugo&Cie, 2011, et «Sa Sainteté – Scandale au Vatican», Ed. Privé, 2012.

3 Nicolas Diat, «L’homme qui ne voulait pas être pape – Histoire secrète d’un règne», Albin Michel, 2014.



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Odeur de soufre dans les diocèses

Les scandales financiers qui touchent l’Eglise catholique ne se limitent pas à la banque vaticane. Comme le montre le documentaire «L’argent du Vatican», à voir dimanche sur RTS2, divers diocèses se sont également trouvés exposés aux affres de l’argent ces dernières années. Le cas de l’évêque «de luxe» de Limbourg est encore dans toutes les mémoires. Mgr Franz-Peter Tebartz-van Elst a fait restaurer sa résidence diocésaine pour plus de 31millions d’euros. Le prélat a été écarté de son siège en octobre dernier.

D’autres affaires ont défrayé la chronique. Ainsi, en 2011, la presse a révélé que la maison d’édition Weltbild, à 100% propriété des diocèses allemands, comptait dans son catalogue des milliers de publications érotiques et ésotériques. Le Vatican a mené l’enquête et découvert que la situation était connue depuis 2008, mais qu’aucun acquéreur n’avait été trouvé. En 2012, le groupe a annoncé sa transformation en fondation ecclésiale de droit public. Il a finalement déposé son bilan en janvier dernier. La filiale suisse n’est pas touchée.

Autre affaire, en 2007, on apprenait qu’une chaîne TV slovène diffusant des programmes pornos était propriété de l’archidiocèse de Maribor. A la fin du communisme, l’Eglise avait fait de gros placements tous azimuts sans véritables compétences. Résultat: des dettes s’élevant à 800millions d’euros. En 2011, BenoîtXVI a accepté la démission de l’archevêque de Maribor. Et enjuillet dernier, deux autres archevêques slovènes ont été remerciés par le pape François.



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François fait le ménage

Par un Motu proprio, une lettre émise de sa propre initiative, le pape François a constitué, lundi dernier, une nouvelle structure chargée de coordonner les affaires économiques et administratives du Saint-Siège: le Secrétariat pour l’économie. L’instance mettra en œuvre les directives formulées par un nouveau Conseil pour l’économie, composé de huit prélats et de sept laïcs. Le préfet de cette nouvelle institution sera le cardinal George Pell. La création par le pape de ce Secrétariat pour l’économie a pour but de «gérer au mieux les ressources de l’Eglise et de pouvoir aussi les destiner aux pauvres», a déclaré le cardinal australien.

Mgr George Pell a indiqué au quotidien économique «Il Sole 24 Ore» que l’avenir de l’Institut pour les œuvres de religion (IOR) n’avait pas encore été décidé. «Concernant l’IOR, des approfondissements sont en cours de la part de la Commission spéciale de référence, qui doit encore terminer ses travaux», assure le nouveau préfet. Les rumeurs de fermeture de la banque du Vatican ont été à nouveau démenties. L’Autorité d’information financière, dirigée par le Fribourgeois René Brühlhart, reste l’organe de contrôle de l’IOR. Elle n’est pas touchée dans cette phase de réforme. En décembre dernier, le pape François a rappelé que l’IOR a été créé pour aider les œuvres religieuses, les missions et les Eglises pauvres.

Pascal Fleury