«Une personne avec une croyance a autant de force que 100.000 personnes qui n'ont que des intérêts» John Stuart Mill

Les péchés capitaux du Vatican

 

Le journaliste italien Gianluigi Nuzzi révèle dans ” Chemin de croix “, documents secrets à l’appui, la gabegie des finances du Saint-Siège, ainsi que la violence des luttes internes qui secouent, depuis des années, le plus petit Etat du monde

Le trou noir du denier de l’Eglise

Au cœur même de l’Eglise, il existe un trou noir que François découvre au prix de nombreuses difficultés  : une mauvaise gestion qui finit par se transformer en escroquerie et en machination. Grâce à l’unité opérationnelle qu’il a imposée avec une énergie sans précédent, il parvient à acquérir la certitude que les fonds destinés aux indigents servent à couvrir les frais de la curie. Un véritable scandale. L’argent que des catholiques du monde entier envoient au Vatican pour contribuer à des œuvres de charité, loin d’être versé aux pauvres, est utilisé pour combler les déficits financiers dus à certains cardinaux et aux hommes qui contrôlent l’appareil bureaucratique du Saint-Siège. Or, Jorge Bergoglio a choisi le prénom François parce que la mission de son Eglise était censée correspondre exactement à celle de saint François d’Assise  : aider les pauvres. (…)

L’exemple le plus scandaleux nous est offert par le Denier de Saint-Pierre. Le site du Vatican le définit pourtant en termes très clairs  : il s’agit de ”  l’aide économique que les fidèles apportent au Saint-Père, en signe de participation à la sollicitude du successeur de Pierre pour les nombreux besoins de l’Eglise universelle, et à ses œuvres de charité en faveur des plus déshérités. (…) Les offrandes des fidèles au Saint-Père sont destinées aux œuvres ecclésiales, aux initiatives humanitaires et aux actions de promotion sociale, de même qu’au soutien des activités du Saint-Siège. En tant que pasteur de toute l’Eglise, le pape se préoccupe aussi des besoins matériels des diocèses pauvres, d’instituts religieux et de fidèles connaissant de graves difficultés (pauvres, enfants, marginaux, victimes de guerres ou de catastrophes naturelles  ; aides particulières à des évêques ou à des diocèses en difficulté, éducation catholique, aide aux réfugiés ou aux migrants, etc.) “.  (…)

Dans les faits, les offrandes destinées aux pauvres demeurent à ce jour un véritable trou noir  : un secret total est maintenu sur la façon dont elles sont dépensées, et l’on se contente d’un simple ”  compte rendu  ” sur les sommes encaissées, ce qui permet d’échapper à toute obligation de les reporter dans la comptabilité des bilans officiels. Un tel choix a été dicté par des ”  Autorités supérieures  “, autrement dit le secrétaire d’Etat ou le précédent pape. Pourquoi tant de mystère  ? À quoi ces sommes sont-elles donc employées  ? Voici la réponse, peu détaillée mais très éclairante – tirée d’un rapport confidentiel portant sur l’année 1992 –  : ”  La collecte est utilisée pour  : les initiatives caritatives et/ou des projets précis signalés par le Saint-Père (14,1  millions)  ; la transmission des offrandes obéissant à une finalité spécifique (6,9  millions)  ; l’entretien de la curie romaine (28,9  millions). A quoi il faut ajouter un provisionnement sur le fonds Denier de Saint-Pierre à hauteur de 6,3  millions.  ”

Tout cela signifie que plus de la moitié des offrandes envoyées par les fidèles du monde entier, censément versées aux nécessiteux, alimentent en réalité les caisses de la curie. Abstraction faite du provisionnement, la proportion est de 58  %  : calculée malgré tout par défaut, elle doit sans doute, bien que déjà très consistante, être augmentée sensiblement. Si l’on contrôle rubrique par rubrique, sur le document inédit de la Secrétairerie, les ”  donations du Saint-Père  “, le constat est très clair. Benoît XVI a davantage employé ces 14,1  millions pour assainir les comptes déficitaires du Saint-Siège que pour financer des œuvres de charité  : 5,5  millions ont été alloués à l’imprimerie, 1  million est allé à la bibliothèque et 309  000  euros ont été remis à des fondations. Toutes ces sommes ont donc été affectées à des entités et à des structures sises à l’intérieur des murs du Vatican. En résumé, sur les 53,2  millions encaissés par le Denier en  2012, auxquels il faut de surcroît ajouter 3  millions d’intérêts, 35,7  millions (67  %) ont été dépensés au profit de la curie et 6,3  millions (12,4  %) restent inutilisés, puisque provisionnés sur le fonds Denier de Saint-Pierre.

Patrimoine immobilier du Vatican et cupidité des prélats

La cupidité des prélats paraît en effet sans limites, comme le montre bien le cas exemplaire de son éminence révérendissime Monseigneur Giuseppe Sciacca. Né en  1955 à Aci Catena, une petite commune de la province de Catane, il a été nommé secrétaire général du Gouvernorat par Benoît XVI le 3  septembre 2011 et semble avoir un faible pour les demeures confortables et, surtout, spacieuses. Son Eminence aime organiser des cocktails et des dîners pour recevoir ses amis, mais dédaigne pour cela, selon toute apparence, le bel appartement qu’il occupe à la Cité du Vatican, bien entendu sans payer de loyer. Il s’agit de celui où vécut jadis, au palais Saint-Charles, le cardinal polonais Andrzej Maria Deskur, un ami personnel de Jean-Paul II décédé en septembre  2011. Nous sommes en  2012  : Monseigneur Sciacca occupe maintenant depuis plusieurs mois son poste prestigieux au sein de l’organisation qui gère les dépenses et les appels d’offres du Saint-Siège. C’est Tarcisio Bertone, son ami de toujours, qui a convaincu Benoît XVI de confier à ce haut prélat le rôle délicat de numéro deux du Gouvernorat. Joseph Ratzinger l’a donc choisi pour succéder au secrétaire général sortant, Monseigneur Carlo Maria Viganò. (…)

Monseigneur Sciacca se sent donc à l’étroit dans cette demeure qu’il juge trop modeste. Il voudrait un autre appartement, plus accueillant et plus vaste, mais il ne sait pas encore comment s’y prendre  : il ne peut qu’attendre une occasion favorable, qui finit fatalement par se présenter un jour. Il suffira d’un peu de cynisme et de ruse pour que l’affaire soit dans le sac. Le haut prélat sait très bien ce qu’il a à faire  : aussi rapide qu’un prédateur, il échafaude un plan d’une audace qui continue d’apparaître incroyable, même a posteriori.

La cible de Monseigneur Sciacca est son voisin de palier, un doux prêtre très âgé, et à la santé de plus en plus fragile, qui vit là avec une religieuse et ne sort plus de chez lui depuis longtemps. Personne ne le voyant plus se promener au Vatican, le secrétaire du Gouvernorat demande des informations et souhaite comprendre ce qui lui est arrivé. Il apprend ainsi qu’au cours des derniers mois, ce malheureux prêtre a dû se soumettre à des soins et des contrôles médicaux incessants, et qu’il est en ce moment même hospitalisé pour subir des examens spécialisés urgents. Pendant ce temps, les rumeurs sur son état de santé se répandent et se multiplient  : beaucoup le donnent désormais pour moribond, et de nombreuses personnes estiment qu’il lui sera difficile de réintégrer son logement. Monseigneur Sciacca effectue alors une démarche étonnante  : il appelle une entreprise de bâtiment bénéficiant de sa confiance, lui indique le mur de séparation des deux appartements et demande qu’on y creuse un trou pour les mettre en communication. Il a en effet besoin de précieux mètres carrés supplémentaires pour rendre sa résidence plus accueillante. Malgré une certaine surprise, les maçons obtempèrent et accèdent à la demeure du prêtre après avoir ouvert un passage dans le mur. En quelques heures, les jeux sont faits  : comme par magie, l’habitation du secrétaire général du Gouvernorat dispose dorénavant d’une pièce supplémentaire, qui servira de salon. Et par contrecoup, celle du prêtre à la santé chancelante, ignorant de tout, se réduit d’autant.

Les surprises ne s’arrêtent d’ailleurs pas là  : outre la pièce elle-même, Monseigneur Sciacca ”  annexe  ” aussi son mobilier provenant du ”  magasin de fleurs  “, le service qui s’occupe, entre autres, des meubles de la nomenklatura religieuse, et qui dépend justement de ce Gouvernorat où l’évêque occupe une place si importante. Quant aux affaires personnelles du prêtre, on les range dans des cartons déposés ensuite dans le couloir, comme pour la préparation d’un déménagement. Enfin, on mure la porte de la pièce ”  conquise  ” donnant accès au reste de l’appartement du voisin. A la curie, l’affaire provoque à la fois une certaine surprise, des réactions hilares et des ressentiments. Surtout lorsque le vieux prêtre, qui n’a pas la moindre intention de passer de vie à trépas, rentre chez lui. Il est aisé d’imaginer son étonnement. Il comprend que quelque chose ne va pas dès l’ouverture de sa porte et retrouve son appartement changé, diminué d’une pièce. Il est cependant trop âgé pour protester et réclamer justice.

Mystérieux cambriolage au cœur de Saint-Pierre

Le dimanche 30  mars 2014, quelques heures avant l’aube, la place Saint-Pierre est encore déserte. Nous sommes au cœur d’un des quartiers les plus surveillés au monde et pourtant, cette nuit-là, il se passe quelque chose d’imprévisible. Défiant les services de sécurité, des individus s’introduisent dans les édifices du pouvoir pontifical. Le palais des Congrégations, sur la place Pie-XII, juste en face de la colonnade du Bernin, est plongé dans le silence le plus absolu. La conciergerie du numéro  3 du largo del Colonnato est fermée. Gaspare, son fidèle gardien sicilien, est rentré chez lui pour le week-end, de même que les employés et le personnel de ménage. Mis à part l’appartement de 353 mètres carrés qu’occupe le cardinal nigérian Francis Arinze et le deux-pièces où réside un paisible retraité, cet immeuble de quatre étages est affecté à des boutiques et à des bureaux, dont ceux de la Congrégation pour le clergé, de la Congrégation pour l’éducation catholique et de la Congrégation pour les instituts de vie consacrée et les Sociétés de vie apostolique. Les 781 mètres carrés du quatrième étage de l’escalier D sont réservés en totalité à la Préfecture pour les affaires économiques du Saint-Siège, et constituent une sorte de quartier général des opérations de contrôle que François impose à la curie romaine. Les auditeurs y travaillent en étroite collaboration avec les membres de la Cosea – Commission sur l’organisation des structures économiques et administratives –  ; une grande partie des documents confidentiels y est conservée  ; le secrétaire de la Préfecture et coordinateur de la commission, Monseigneur Vallejo Balda, y a son bureau. Ce lieu est donc hautement symbolique de la révolution engagée par le pape.

Une fois à l’intérieur du bâtiment, étage par étage, les cambrioleurs pénètrent dans les bureaux des différentes congrégations, ouvrent au chalumeau tous les coffres-forts qu’ils trouvent et s’emparent de l’argent qu’ils contiennent. Ce sont des sommes modiques  : quelques centaines d’euros pour chaque service. Les congrégations et la Préfecture ne gardent là en dépôt qu’un fonds de caisse destiné aux petits achats paiement comptant. La maigreur du butin est en contradiction flagrante avec l’ampleur des moyens déployés  : car les malfaiteurs agissent en professionnels, ils connaissent l’emplacement des coffres, savent comment les forcer en un minimum de temps et n’ont aucun mal à franchir les portes qu’ils rencontrent sur leur chemin. Mais c’est leur comportement ultérieur que les enquêteurs jugeront insolite et surprenant, un choix de leur part qui ne semble en rien dû au hasard et qui fournit peut-être la bonne explication de cette inquiétante intrusion nocturne.

Après avoir accédé aux locaux de la Préfecture, les voleurs ne se contentent pas d’y repérer très vite le coffre-fort, de l’ouvrir et d’en retirer un modeste montant, inférieur à 500  euros. Ils font aussi irruption dans une salle meublée de plusieurs armoires blindées, en identifient une en particulier et la fracturent. L’aspect extérieur de ces armoires a beau être identique, les malfaiteurs savent très exactement ce qu’ils ont à faire  : de toute évidence, ils connaissent l’emplacement de ce qu’ils cherchent. Ils sont bien informés et font preuve de sang-froid  : une fois les lourdes portes écartées, ils ne découvrent pas de l’argent ou des objets de valeur, mais des documents confidentiels bien rangés dans quelques dizaines de dossiers.

Il ne s’agit pas de papiers quelconques, et les malfaiteurs s’emparent alors d’une partie des archives secrètes de la Cosea. Sans précédents et d’une extrême gravité, ce vol risque de compromettre les travaux de la commission. Et quel rapport peut-il bien exister entre les dossiers des inspecteurs du pape et la soustraction de quelques centaines d’euros dans plusieurs coffres  ? L’intrusion est découverte le lendemain. La gendarmerie du Vatican entre en action et reçoit le soutien des forces de l’ordre italiennes. Ce délit des plus singuliers fait dès lors l’objet d’une enquête conjointe des organismes des deux pays. L’édifice cambriolé est une des propriétés extraterritoriales du Saint-Siège mentionnées par les accords du Latran  : bien que situé à l’extérieur de l’enceinte du Vatican, il est considéré comme une enclave de cet Etat, avec toutes les conséquences que cela implique. L’intérieur de l’immeuble appartient à son territoire et les investigations qu’on y mène relèvent de la compétence de sa gendarmerie. Les rues adjacentes, en revanche, relèvent de celle des policiers italiens, qui visionnent les dizaines de bandes magnétiques enregistrées par les nombreuses caméras de surveillance des alentours. Les questions essentielles sont au nombre de deux  : qui a voulu lire les papiers secrets de la commission  ? et dans quel but ?  (…)

L’hypothèse la plus réaliste consiste dès lors à imaginer qu’ils se sont glissés à travers une des portes de l’édifice, celle qui donne sur la place Pie-XII. Pourtant, sa serrure fonctionne et n’a pas été forcée. Faut-il en déduire que les cambrioleurs en possédaient les clefs  ? Le mystère reste entier. Il est en tout cas certain qu’ils sont passés par là, puisque cette porte donne accès à l’escalier qu’ils ont emprunté avant de rejoindre et de fracturer l’entrée de service de la Préfecture, presque jamais utilisée, puis de s’introduire sans difficulté dans les locaux de l’institution de surveillance de l’économie du Saint-Siège.

Les documents réapparaissent avec un dossier supplémentaire

Le plus étonnant dans cette histoire, c'est que les documents sont retournés au Vatican avec un dossier supplémentaire nommé : Manuela Orlandi. Ce document (ci-dessous) a fuité et, est peut-être un faux, mais si il est vrai, cela veut dire que le Vatican a dépensé plusieurs millions de lires pour entretenir Manuela Orlandi après son enlèvement et que le Saint-Siège aurait fait le nécessaire pour rapatrié son corps et l'inhumée après sa mort. Le Vatican n'a jamais commenté ce dossier.

Emanuela Orlandi London documents (English translation in comments)
by u/Mhuiseau in emanuelaorlandi





Egger Ph.

Les plus anciens textes chrétiens ne parlent pas d’un tombeau vide

 



C’est l’un des épisodes les plus controversés de la fête chrétienne de Pâques: la découverte du tombeau vide de Jésus, trois jours après sa mort sur la croix. Avec Andreas Dettwiler, professeur à la Faculté de théologie de l’UNIGE, et spécialiste du Nouveau Testament, nous allons tenter d’éclaircir plusieurs questions délicates: est-il possible que l’on ait donné une sépulture à un supplicié? Cette histoire de tombeau vide est-elle crédible d’un point de vue historique? Quels sont les textes les plus anciens qui nous parlent de la résurrection et quel rôle a joué la mort de Jésus dans les débuts du christianisme?

Selon la Bible, Jésus, un crucifié, aurait été enseveli. Est-ce possible, historiquement parlant?

Andreas Dettwiler: Ce n’est pas impossible. Normalement, les Romains avaient pour habitude de jeter le cadavre dans une fosse commune, ou de laisser en croix le crucifié, nu, pour qu’il soit dévoré par les animaux. La crucifixion était en effet une véritable mise en scène publique, d’une brutalité et d’un sadisme inouïs, qui avait pour but de réduire à néant le condamné à mort et de détruire son honneur et celui des siens, même au-delà de sa mort – une expression puissante du système politique oppressif de l’Empire romain. Donc, normalement, un crucifié n’était pas enseveli dans un tombeau, qu’il soit individuel ou commun. Mais il y a eu des exceptions: ainsi, en 1968, des archéologues ont retrouvé à proximité de Jérusalem, dans un tombeau familial, un ossuaire qui contenait les restes d’un homme crucifié au premier siècle de notre ère (cet ossuaire est exposé au Musée d’Israël à Jérusalem, inv. IAA 1968-679). Ce qui a été fait pour ce supplicié qui s’appelait Yehohanan fils de Hagkol, peut l’avoir été pour Jésus.

De quelle époque datent les premiers témoignages sur la mort et la résurrection de Jésus dans les années 30-33 de notre ère?

Contrairement à ce que l’on imagine, ce ne sont pas les Évangiles de Marc, Matthieu, Luc et Jean qui sont les textes les plus anciens du Nouveau Testament: ils ont été écrits entre les années 70 et 100. Les sources les plus anciennes sont les lettres de l’apôtre Paul, qui écrit dans les années 50, et se réfère parfois à des traditions encore plus anciennes.

A quel point peut-on se fier au témoignage de Paul ?

Même s’il ne semble pas particulièrement intéressé par les détails de la vie de Jésus, et s’il ne l’a pas connu de son vivant, Paul cite à plusieurs reprises l’une ou l’autre de ses paroles. Il considère Jésus comme un personnage historique, cela ne fait aucun doute. Et il possède probablement bien plus d’informations sur Jésus que ce qui apparaît dans ses lettres: il a été en contact avec plusieurs personnages illustres du christianisme naissant lors d’un premier séjour à Jérusalem vers l’an 35, notamment avec Pierre et Jacques, un des frères de Jésus.

Que nous dit Paul de la résurrection de Jésus?

Dans sa première lettre de Paul à la communauté chrétienne de la ville de Corinthe (1 Co 15), on trouve la trace d’un credo qui remonte probablement aux années 40, soit une dizaine d’années après la mort de Jésus, qui a été crucifié probablement en avril 30. Paul y transmet ce qu’il «a reçu lui-même», à savoir que le «Christ est mort pour nos péchés, selon les Écritures. Il a été enseveli, il est ressuscité le troisième jour, et il est apparu…» à une longue liste de personnes.

Comment comprenez vous cette phrase, «Jésus a été enseveli», qui serait une allusion à la tradition du tombeau vide?

Je crois que cette phrase signifie simplement que Jésus est bel et bien mort, que ce n’est pas une fiction. D’ailleurs, à ma connaissance, aucun texte du christianisme émergeant n’a mis en doute la réalité de cette mort, ni développé l’hypothèse selon laquelle quelqu’un d’autre aurait été mis à mort à sa place. En outre, il faut observer que ce texte de Paul ne parle pas de la tradition du tombeau vide, que nous connaissons uniquement par le récit qui se trouve à la fin des quatre évangiles du Nouveau Testament.

Que vous inspire ce silence?

Il y a deux possibilités: soit Paul n’avait pas connaissance des traditions relatives au tombeau de Jésus, soit il savait que l’argument du tombeau vide était relativement faible pour son argumentation théologique. Le tombeau vide ne «prouve» pas la résurrection, parce qu’un tombeau peut être vide pour plusieurs raisons: on peut avoir déplacé un cadavre, comme on peut le voler. Dans l’Évangile de Jean, au chapitre 20, Marie de Magdala qui découvre le tombeau vide se pose d’ailleurs des questions très rationnelles à ce sujet. Elle dit: «Ils ont enlevé le Seigneur du tombeau, et nous ne savons pas où on l’a mis» (Jean 20,2). Dans les Évangiles, le tombeau vide agit plutôt comme un signe mystérieux et ambigu, compréhensible uniquement par celui ou celle qui a déjà accédé à la foi.

D’où nous vient cette tradition du tombeau vide?

La visite au tombeau n’est attestée que par une seule source, l’Évangile de Marc. C’est extrêmement mince, et cela me laisse dubitatif, comme beaucoup d’autres historiens. Les récits parallèles de Matthieu, de Luc et probablement aussi de Jean se sont inspirés de celui de Marc. De plus, le récit de Marc pose plusieurs problèmes d’un point de vue historique. A mon avis, cette visite est assez invraisemblable. On ne retourne pas embaumer un cadavre trois jours après sa mort! L’auteur de l’évangile de Matthieu semble avoir vu le problème puisqu’il dit que les femmes se sont rendues sur place juste pour «voir» le tombeau. A mon avis, l’intérêt des récits du tombeau vide ne se situe pas au niveau de leur plausibilité historique, mais au niveau de leur message religieux qui est tout à fait subtil et profond, notamment celui de l’évangile de Marc.

Ces scénarios de la mise en scène de la résurrection circulent très tôt dans l’Antiquité. Dans l’Évangile de Matthieu (27,66), on apprend que les pharisiens approchent le gouverneur romain Pilate pour lui demander de placer des gardes devant le tombeau, de peur que les disciples ne viennent voler la dépouille de leur maître. Et dans l’Évangile de Jean (20,13-15), Marie-Madeleine soupçonne le jardinier d’avoir emporté le corps de Jésus…

Et il y a eu d’autres critiques encore, notamment parmi les mouvements anti-chrétiens de l’Antiquité; ainsi, le philosophe Celse objecte, vers 175 de notre ère: «Si Jésus voulait réellement manifester sa puissance divine, il aurait dû apparaître à ses ennemis, au juge, bref, à tout le monde» (Origène, «Contre Celse» 2,63). Ce qui est sûr, c’est qu’en aucun passage du Nouveau Testament, on ne trouve le récit de personnes qui auraient été des témoins oculaires de l’acte de la résurrection proprement dit. Les témoignages de la résurrection sont toujours des témoignages de la foi en la résurrection.

Contrairement au tombeau vide, les «apparitions» de Jésus sont moins contestées. Elles semblent même les témoignages les plus solides, historiquement, du récit de Pâques?

A mon avis, c’est l’élément le plus intéressant, même si, là aussi, il nous faut être très prudents dans une perspective strictement historique. Les témoignages les plus anciens à propos de la résurrection du Christ sont des formulations de foi de type «Dieu a ressuscité Jésus d’entre les morts». J’ai déjà mentionné le fameux crédo de 1 Co 15. D’autres textes vont dans le même sens. Les récits des apparitions du Christ ressuscité à tel personne expriment au plan narratif ce que ces anciennes formulations ont voulu dire. Nous avons ici affaire au langage de la foi et non à un langage descriptif, «scientifique», d’un événement qui serait saisissable par le biais d’une investigation historique.

Peut-on imaginer un récit historique de ce moment?

On peut essayer de reconstruire ce qui s’est passé entre la vie, intense et brève, de Jésus de Nazareth, sa mort en l’an 30 à Jérusalem et les tout premiers débuts du christianisme naissant. Retournons au «printemps galiléen» de l’activité publique de Jésus. Le projet de ce prophète juif itinérant semble avoir du succès. Il sillonne la Galilée avec ses compagnons – hommes et femmes – et annonce en actes et en paroles l’avènement imminent du «Royaume de Dieu». Ce monde nouveau sera marqué par la confiance en la providence divine, par le souci à l’égard des plus pauvres et des exclus de la société d’alors et, plus généralement, par un amour inconditionnel du prochain. La croix est l’aboutissement atroce de ce généreux projet, sa radicale mise en question. Jésus arrive à Jérusalem avec ses disciples, et l’on assiste à un mouvement de désolidarisation. Judas livre son maître aux autorités religieuses de son temps, puis Pierre le renie, et tout le monde s’enfuit, à part quelques femmes qui assistent encore à la crucifixion. Bref, cette magnifique histoire se termine par un échec cuisant. Et puis, quelque temps après, se répand une rumeur: plusieurs personnes, principalement issues du groupe proche de Jésus, auraient fait l’expérience de voir le Christ vivant ; on assiste alors à une reconfiguration, puis à l’émergence de ce qu’on va appeler ultérieurement le christianisme.

Les textes des Évangiles témoignent encore d’un malaise par rapport à cet épisode. Certains comme Marie-Madeleine ont peur et sont tellement troublés qu’ils commencent par se taire à ce sujet. L’expérience n’est pas aussi rose qu’on le montre au cinéma…

Ce côté perturbant de l’expérience de Pâques est intéressant: ce n’est pas le caractère tranché des films de Hollywood; les Évangiles témoignent du doute, de l’incompréhension, du refus comme de la peur qui ont saisi les disciples face à ces expériences de rencontres avec le Christ vivant et pourtant, la conviction qui l’a emporté a changé le cours de l’histoire.

Andreas Dettwiler

Judas était-il le traître ou le disciple parfait de Jésus?

 




Le baiser de Judas est aussi légendaire qu’inexpliqué. Selon des textes tardifs, les disciples portaient des capuches, et ce geste a pu désigner Jésus dans le groupe.

C’est l’inconnu le plus célèbre de la Bible. Avec Jésus, Judas est l’autre star de Pâques. Et pourtant on ne sait que très peu de choses sur ce disciple, à part, peut-être, qu’il a livré son maître en le désignant d’un baiser devenu légendaire. Enquête sur un traître trop parfait pour être honnête.
A-t-il existé?

Comme pour Jésus, des historiens ont douté de l’existence de Judas. Trop sombre et trop caricatural, ce superméchant a parfois été considéré comme une invention littéraire. Mais pour Andreas Dettwiler, professeur de Nouveau Testament à la Faculté de théologie de l’UNIGE, «Judas a bien existé».

Le premier argument «qui plaide pour son historicité, c’est que les récits bibliques les plus anciens parlent de lui, comme l’Évangile de Marc, qui est le plus proche des événements et le plus nuancé à son égard. Les Évangiles évoquent tous le rôle de Judas lors de l’arrestation de Jésus; ils disent tous que Judas faisait partie des douze disciples de Jésus, même s’il apparaît toujours en dernière position dans la liste.»

Enfin, Judas est «une figure embarrassante. Il a été choisi par Jésus, il faisait partie de son cercle le plus proche, il a soutenu son projet de vie alternative, et pourtant il semble prendre ses distances à la fin, lorsqu’il collabore avec les autorités juives et qu’il facilite l’arrestation de son maître», résume Andreas Dettwiler. Or, pour les historiens des religions, ce critère est important. Le plus souvent, ce qui est embarrassant n’a pas été inventé.

A-t-il vraiment trahi?

Les textes bibliques ne disent jamais que Judas a trahi Jésus. «Le mot qui revient tout le temps, c’est paradidonai, un verbe grec qui signifie «livrer», précise Daniel Marguerat, professeur honoraire à l’UNIL. Or livrer n’est pas forcément trahir. Ce doute sur le rôle exact de Judas est entretenu par certains Évangiles qui laissent entendre que Jésus «n’est pas le jouet du destin, mais qu’il domine les événements et consent à sa mort».

Les motivations de Judas restent inexpliquées. Le fameux baiser qui lui sert à désigner Jésus ne nous éclaire pas davantage sur ses intentions. Si certains textes expliquent sa trahison par l’appât du gain, la somme qu’il aurait exigée est dérisoire. Les Évangiles parlent de 30 pièces, alors que Judas était le caissier du groupe. Ce rôle lui permettait de manipuler des sommes bien plus importantes, comme le montre l’épisode de l’onction à Béthanie, où Judas s’indigne à cause du parfum utilisé, trop luxueux, qu’il aurait pu vendre pour 300 deniers.

L’Évangile de Luc suggère bien que Satan a pénétré le cœur de Judas, «mais cette version trahit surtout l’ignorance de Luc à propos des motivations du disciple», estime Daniel Marguerat.

Comme le mystère reste entier, chacun y va de sa spéculation. «Judas a peut-être voulu précipiter les choses, en pensant que Dieu ne laisserait pas mourir son messie, avance le chercheur de l’UNIL, ou alors il l’a livré parce qu’il se considérait lui comme trahi, parce que le royaume dont parlait Jésus n’arrivait pas.»

Iscariote, ça veut dire quoi?

On parle souvent de Judas l’Iscariote, mais le sens de ce surnom reste lui aussi très discuté. «La solution majoritairement retenue par les historiens, c’est de penser qu’Iscariote signifie l’homme qui vient de Qeriyoth. Ce village de Judée est attesté dans l’Ancien Testament, mais on ne sait pas s’il existait encore à l’époque de Jésus. Et puis cela ferait de Judas le seul disciple de Judée, alors que tous les autres sont Galiléens», note Andreas Dettwiler.

Une autre hypothèse fait découler Iscariote du latin «sicarius», le porteur de poignard. «Ce terme péjoratif était utilisé par les Romains pour désigner un groupe de combattants nationalistes juifs qui portaient la sica, une petite épée recourbée. Ces sicaires se sont opposés plus ou moins violemment à la présence romaine entre l’an 6, et l’an 74 après Jésus-Christ», résume Mireille Hadas-Lebel, professeure d’histoire des religions à Paris-Sorbonne.

Comme Judas, les sicaires sont mal connus. Selon l’historien antique Flavius Josèphe, ils constituaient l’un des quatre grands courants de pensée de la société juive de l’époque, avec les Pharisiens, les Saducéens et les Esséniens.

«C’était un groupe violent, qui ne s’attaquait pas aux Romains, mais qui frappaient les juifs qui collaboraient avec l’envahisseur, précise Mireille Hadas-Lebel. On ne sait pas bien quelle était leur influence à l’époque de Jésus et on les a souvent confondus avec les Zélotes, terme moins péjoratif qui désignait aussi des juifs nationalistes comme des croyants zélés. L’un d’eux, Simon le Zélote, figurait parmi les douze disciples de Jésus.»

Cette hypothèse sicaire rappelle qu’il y avait, dans le groupe de Jésus, des disciples tentés par l’action violente. On le sait notamment par Pierre qui, la nuit où Jésus fut livré, donne un coup d’épée (de sica?) et coupe l’oreille d’un des hommes venus arrêter Jésus.

Comment est vraiment mort Judas?

Le Nouveau Testament donne deux versions de la mort de l’Iscariote. Selon Matthieu (27, 3-1), Judas, pris de remords, jette ses pièces d’argent dans le Temple et va se pendre. En revanche, dans les Actes des apôtres (Actes 1, 16-20), on voit Pierre se lever et expliquer à 120 frères effrayés que Judas «est tombé tête la première, son ventre a éclaté et toutes ses entrailles se sont répandues».

Cet éventrement a inspiré un polar biblique au moine bénédictin et historien Michel Benoit, qui a étudié la mort de Judas comme un cold case. Il pense qu’il y avait des sicaires autour de Jésus, et que l’un d’eux a éventré Judas avec sa sica.

David Marguerat n’achète pas ce «mauvais polar». Pour lui, la fin de Judas est celle des grands méchants de la Bible. «Celui qui a commis le crime le plus innommable a eu la mort la plus affreuse.» Le prof honoraire de l’UNIL rapproche encore les deux morts de Judas de celles des deux conseillers du roi David qui l’avaient trahi. L’un s’est suicidé et l’autre est mort parce que ses entrailles se sont répandues sur le sol (c’est en 2 Samuel 17-23 et 2 Samuel 20). «Il ne m’étonnerait pas que les versions canoniques se soient inspirées de ces modèles de l’Ancien Testament.»

Qui a trahi le plus?

L’histoire a retenu Judas comme le méchant de l’histoire, mais Pierre peut aussi postuler pour ce rôle. «Alors qu’il avait fanfaronné, Pierre renie son maître à trois reprises, et ce reniement est mis en scène de manière très théâtrale dans les Évangiles», note Daniel Marguerat.

Pourtant Pierre sera finalement réhabilité, alors que Judas n’a pas eu cette chance. Pourquoi? «Mon hypothèse, c’est que les premiers chrétiens ne savaient pas ce que Judas était devenu après la crucifixion, alors que Pierre est vite revenu dans le groupe et qu’il a pu témoigner de son repentir.»

Judas, traître ou disciple parfait?

Dès l’Antiquité, deux lectures du personnage s’opposent. Celle qui va s’imposer aux siècles des siècles présente Judas comme le traître absolu. Plus on s’éloigne des événements, et plus la description que font les Évangiles de ce personnage s’assombrit. Les termes les plus durs se trouvent dans l’Évangile de Jean, qui en fait un homme corrompu, menteur et cupide.

Cette interprétation aura des conséquences tragiques, puisqu’elle va faire le lit de l’antisémitisme. À ce sujet, Andreas Dettwiler rappelle volontiers cette formule du romancier Amos Oz, qui parle de Judas comme du «Tchernobyl de l’antisémitisme européen».

Cette lecture de Judas comme le traître absolu n’est pas la seule. Il y en a une autre, qui a été longuement développée dans «L’Évangile apocryphe de Judas», un texte découvert tardivement et publié en 2006, alors qu’il date du IIe siècle de notre ère. «Ce texte propose une relecture idéalisée de Judas qui est présenté comme le disciple parfait, le seul qui comprend l’origine divine de Jésus et qui permet à son maître de se libérer des contraintes du monde terrestre et de retourner au monde de la lumière», raconte Andreas Dettwiler.

«Judas est présenté comme le disciple parfait, celui qui permet à Jésus de retourner au monde de la lumière.»

Ce texte nous rappelle que, dès l’Antiquité, le personnage de Judas a divisé les foules, et pas seulement à notre époque moderne qui adore les antihéros. Mais, qu’on le voie comme le traître suprême ou comme le disciple parfait, une certitude demeure: sans la croix, il n’y a pas de résurrection; donc sans Judas, il n’y a pas de Christ.

Jocelyn Rochat