«Une personne avec une croyance a autant de force que 100.000 personnes qui n'ont que des intérêts» John Stuart Mill

Jean Baptiste et Jésus, les deux naissances miraculeuses de l’an 1

 

Six mois avant d’annoncer la conception de l’Enfant Jésus à la Vierge Marie, l’ange Gabriel a aussi annoncé la venue surnaturelle de Jean le Baptiste à son père Zacharie. C’est le début de deux destins entrelacés.

La Vierge Marie avec Jean Baptiste et Jésus, sous le regard de l’ange, vus par Léonard de Vinci.
Universal History Archive/Univer



Il n’y a pas eu une seule naissance miraculeuse dans la Judée du vieux roi Hérode, mais deux. Celle de Jésus est célébrée, aujourd’hui encore, en terres chrétiennes. L’autre est tombée dans l’oubli, même si la conception teintée de surnaturel de Jean le Baptiste est aussi racontée dans le «Nouveau Testament», juste avant celle de Jésus.

Car l’Évangile de Luc ne s’ouvre pas sur la fameuse nuit de Noël, qui n’est décrite qu’au chapitre 2, avec la visite des bergers, l’armée céleste qui chante des louanges et le bébé emmailloté dans la mangeoire. Au chapitre premier, on découvre le compte rendu d’un autre épisode, nettement moins connu, qui est survenu six mois plus tôt.

«Il y avait, au temps d’Hérode, un prêtre nommé Zacharie, et sa femme qui s’appelait Élisabeth. Tous les deux étaient justes devant Dieu, mais ils n’avaient pas d’enfant parce qu’Élisabeth était stérile et qu’ils étaient tous les deux avancés en âge. Vint pour Zacharie le temps d’offrir de l’encens à l’intérieur du sanctuaire du Seigneur. Et c’est alors qu’un ange lui apparut, et lui dit: «Sois sans crainte, car ta prière a été exaucée. Ta femme t’enfantera un fils et tu lui donneras le nom de Jean.» (Lc 1:5-13).
Mais Zacharie n’a pas cru à la promesse de l’ange, il lui a parlé de son grand âge, et aussi de la stérilité de son épouse. Mauvaise idée, parce que l’ange le réduit au silence. Le vieux prêtre ne retrouvera sa voix que des mois plus tard, au moment de la circoncision de son fils, pour annoncer à la cantonade que l’enfant ne s’appellera pas Zacharie, comme lui, mais Jean, comme le messager céleste le lui a demandé.

L’ange passe toujours deux fois

Impossible de ne pas voir le parallèle qui est soigneusement tissé avec la naissance de Jésus. Dans les deux récits de l’Évangile de Luc, c’est l’ange Gabriel qui est chargé d’annoncer la bonne nouvelle aux futurs parents. Dans les deux cas, la naissance de l’enfant est hautement improbable. À chaque fois, l’envoyé céleste utilise la formule «Sois sans crainte» pour rassurer ses interlocuteurs – ici Zacharie, là Marie.

Et, dans les deux épisodes, le nom des enfants a déjà été choisi en très haut lieu, puisque Jean le Baptiste et Jésus sont promis à des destins exceptionnels. «Luc construit un parallélisme remarquable entre la naissance et l’enfance de Jean-Baptiste et celles de Jésus, son cousin», analyse Roselyne Dupont-Roc, l’un des auteurs de «Jésus, l’encyclopédie», une somme de 843 pages parue chez Albin Michel.

Stérilité contre virginité

Pour la chercheuse de l’Institut catholique de Paris, l’annonce faite à Zacharie rappelle d’autres couples bibliques qui ont été sauvés de la stérilité par une intervention divine, comme «Abraham et Sarah (Genèse 18), la mère de Samson (Juges 13) ou encore la mère de Samuel (1 Samuel 1)».

Toutefois, estime Roselyne Dupont-Roc, «le plus frappant est qu’à la différence des femmes de la tradition juive, Marie n’est pas marquée par la stérilité, mais par la virginité. Ce qui n’était nullement une valeur dans le judaïsme devient ici signe de la nouveauté absolue.»

Deux destins entrelacés

Dès la naissance, les «destinées de Jésus et de Jean le Baptiseur sont entrelacées», estime de son côté le théologien protestant lausannois Daniel Marguerat. Les naissances «de Jésus et de Jean le Baptiseur sont prédites par un ange en deux annonciations parallèles, à Zacharie (1,5-2,15) puis à Marie (1,26-38). Après la rencontre des deux femmes, Élisabeth et Marie, les deux nativités de Jean et de Jésus sont racontées selon un cycle qui se répète: annonciation, naissance, circoncision, nomination, salutation, croissance de l’enfant. Mais le parallèle est déséquilibré en faveur de Jésus: Élisabeth est stérile, Marie est vierge; Zacharie doute de la naissance merveilleuse de son fils, Marie accueille la nouvelle. Jean préparera le peuple d’Israël à la venue du Seigneur, Jésus est le Messie.»

L’Évangile de Luc est le seul à raconter les deux naissances miraculeuses de Jean-Baptiste et de Jésus. Il se caractérise encore par son souci de situer ces événements dans l’histoire humaine. C’est à lui qu’on doit, notamment, le célèbre «en ce temps-là parut un décret de l’empereur Auguste pour faire recenser le monde entier», qui est souvent lu dans les Églises lors de la veillée de Noël, puisqu’il provoque la marche de Marie enceinte et de son mari Joseph vers Bethléem.

Pour Daniel Marguerat, «l’œuvre de Luc est exceptionnelle au sein des quatre Évangiles, parce qu’il se présente en historien de Jésus. Il est l’auteur d’une grande fresque, qui débute avec la naissance de Jean le Baptiseur, et se termine avec la mission de l’apôtre Paul à Rome. Il tient à présenter un récit qui s’accroche à la grande histoire, celle de Dieu avec Israël et l’histoire mondiale (celle de l’Empire romain). Il importe à Luc de faire comprendre que la vie de Jésus n’est pas un mythe, mais qu’elle s’est déroulée dans une histoire datable et vérifiable.»

Jean Baptiste est une figure historique

Dans le débat sans fin sur l’existence historique de Jésus, Jean Baptise joue un rôle important, car son existence à lui ne fait pas débat. Le témoignage des Évangiles sur l’importance de Jean Baptiste est confirmé par une source antique païenne, «Les Antiquités judaïques» ou «Antiquités juives» de Flavius Josèphe. Cet historien, né à Jérusalem en 37/38, évoque en effet la figure de Jean, et sa mort dans les prisons du roi.

«Hérode l’avait fait tuer, quoique ce fût un homme de bien et qu’il excitât les Juifs à pratiquer la vertu, à être justes les uns envers les autres et pieux envers Dieu pour recevoir le baptême, écrit Flavius Josèphe. Des gens s’étaient rassemblés autour de lui, car ils étaient très exaltés en l’entendant parler. Hérode craignait qu’une telle faculté de persuader ne suscitât une révolte, la foule semblant prête à suivre en tout les conseils de cet homme. Il aima donc mieux s’emparer de lui avant que quelque trouble se fût produit.» (Livre XVIII, 117).

«Hérode l’avait fait tuer, quoique ce fût un homme de bien et qu’il excitât les Juifs à pratiquer la vertu, à être justes les uns envers les autres et pieux envers Dieu pour recevoir le baptême.»

Flavius Josèphe, dans les Antiquités juives

Ce texte de Flavius Josèphe confirme le récit biblique et prouve que le Baptiste a été un personnage historique et influent. Mais il pose une difficulté nouvelle aux lecteurs traditionnels de la Bible, puisque Flavius Josèphe accorde à Jean un rôle bien plus important qu’à Jésus.

Quels étaient donc les rôles respectifs de ces deux personnages bibliques? Quelle influence ont-ils exercée l’un sur l’autre, sachant que, dès leur naissance, ils ont souvent été associés, et pas seulement dans «La Vierge aux Rochers», le célèbre tableau de Léonard de Vinci?

Les anecdotes bibliques sont innombrables à ce sujet. Comme Jean, Jésus a baptisé des foules au début de sa carrière. Des disciples de Jean ont rejoint Jésus après l’incarcération du Baptiste. Les disciples de Jésus ont demandé à leur maître de leur apprendre une prière, comme Jean l’avait fait avec les siens. «On ressent encore dans les Évangiles une rivalité, une tension entre les disciples des deux prédicateurs, même si Jésus n’a jamais critiqué Jean», note Daniel Marguerat.

Mais c’est surtout le baptême de Jésus par Jean qui complique la tâche des auteurs des Évangiles. Comment ne pas voir dans cet épisode la marque d’une supériorité du baptiseur sur le baptisé? Comment comprendre le silence des «Évangiles» qui ne disent rien de l’activité de Jésus entre ce baptême et l’arrestation de Jean le Baptiste, environ un an plus tard, soit le moment exact où Jésus commence son activité publique?

L’auteur de l’Évangile de Luc a construit un parallèle entre les deux hommes, avant de montrer la supériorité de Jésus, répond Daniel Marguerat: «Les deux ont eu une naissance miraculeuse, mais Jésus est né du Saint-Esprit. Jean croissait en sagesse, Jésus dans l’esprit. Jésus est le jumeau du Baptiseur, mais il va le dépasser.»

Pour le théologien, «Jean le Baptiseur fut le maître spirituel de Jésus. Au moment du baptême, racontent les Évangélistes, Jésus a vu les cieux s’ouvrir et il a entendu la voix divine l’appeler son Fils. À mon avis, ce baptême a été pour Jésus, de manière très inattendue, le lieu d’une expérience mystique forte.»
Un mangeur de sauterelles et un bon vivant

Cette vision va pousser Jésus à rompre sur deux points avec la prédication du Baptiste, qu’il a faite sienne pour le reste. «Contrairement à Jean, qui vit dans le désert et mange des sauterelles et du miel, Jésus n’est pas un ascète. C’est un guérisseur charismatique, mais aussi l’homme des foules, un bon vivant qui vit ses repas comme une préfiguration de l’accueil de tous dans le royaume. L’autre grande différence est que, lorsque Jean présente un Messie de colère qui viendra détruire le mal, Jésus annonce exactement l’inverse: son Dieu, son père est le dieu de la grâce et de l’accueil.»


 

Jocelyn Rochat

24heures.ch